Eat local tech
L’Europe regorge de talents, de jeunes pousses technologiques et de moyens, mais force est de constater que nos entreprises peinent à valoriser ces atouts sur leur propre sol. Et, s’il était temps de consommer local ?
Tandis que nombre de talents s’envolent chaque année pour des entreprises étrangères, majoritairement américaines, attirés par des opportunités alléchantes et des écosystèmes matures, nos entreprises européennes continuent de préférer des technologies venues d’ailleurs. Cette double fuite — des talents et des capitaux — menace à long terme notre souveraineté technologique et économique.
La fuite des talents
L’Europe a su bâtir un système éducatif de premier plan et des pôles d’excellence dans des secteurs clés comme l’aéronautique, les biotechnologies ou encore les technologies vertes, qui illustrent la capacité du continent à fédérer des ressources et des expertises autour de secteurs stratégiques. Pourtant, nos ingénieurs, chercheurs et développeurs quittent régulièrement l’Europe pour rejoindre les géants de la tech américaine (les « Magnificent Seven »), mais pas seulement. Ce « brain drain» affaiblit nos capacités d’innovation et par voie de fait notre capacité à bâtir des champions européens maitrisant les technologies de rupture et capables de rivaliser sur la scène mondiale. À cela s’ajoute un problème d’attractivité des entreprises technologiques européennes. Beaucoup peinent à proposer des environnements de travail compétitifs en termes de rémunération (fiscalité peu incitative sur les stock-options, etc.), souffrent d’un cadre réglementaire rigide et évoluent sur un marché du capital bien plus frileux que celui des États-Unis. La conséquence : nos meilleurs talents travaillent à l’enrichissement de structures étrangères, au détriment de l’écosystème européen.
La dépendance aux technologies étrangères
Parallèlement à cette fuite des « cerveaux », nos entreprises, grandes ou petites, ont tendance à privilégier des technologies développées hors de nos frontières. Les géants américains du cloud, des logiciels d’entreprise ou encore de l’intelligence artificielle dominent largement le marché européen, à de rares exceptions. Cette situation entraîne une fuite des capitaux vers l’étranger sous forme de paiements pour l’utilisation de ces solutions technologiques. Cette dépendance n’est pas sans conséquences : elle limite notre capacité à développer des alternatives locales, fragilise nos acquis stratégiques et contribue à enrichir encore davantage des acteurs déjà hégémoniques.
Les solutions : une conscientisation et une mobilisation collective Face à cette double fuite, des solutions existent, mais elles exigent une mobilisation collective de la part des décideurs politiques, des responsables d’entreprise et des investisseurs.
Investir dans les talents
Les entreprises européennes doivent pouvoir être en mesure d’offrir des parcours attractifs. Cela passe par une volonté politique de mettre en place un cadre fiscal permettant d’améliorer les conditions salariales (diminution de la pression fiscale, flexibilité dans l’organisation du travail, etc.), mais également par une valorisation du potentiel d’impact des projets européens. Nul n’imagine un avenir sans technologie. Les autorités ont le devoir d’agir pour que les conditions permettant aux entreprises européennes d’offrir un projet attractif à tous nos talents soient remplies.
Privilégier les technologies européennes
Les entreprises doivent adopter une stratégie volontariste pour intégrer des solutions technologiques européennes. Cela suppose de dépasser une approche purement court-termiste et de considérer les bénéfices stratégiques à long terme de la souveraineté technologique. Des initiatives comme celle de Framasoft ou European-Alternatives qui visent à proposer des alternatives aux logiciels des GAFAM doivent être soutenues et amplifiées. Nos pépites technologiques, encore trop méconnues, méritent une attention accrue. Les managers ne doivent pas céder à la facilité en privilégiant systématiquement les géants américains. Sensibiliser à l’importance de la souveraineté technologique Entreprises et citoyens doivent être sensibilisés à l’impact de leurs choix sur l’économie européenne. Chaque abonnement à un service cloud étranger ou chaque contrat signé avec une entreprise étrangère contribue à affaiblir l’écosystème local et renforcer l’hégémonie des GAFAM. Les médias ont, à ce titre, un rôle essentiel à jouer. L’Europe bénéficie d’un écosystème médiatique unique. À chacun d’assumer sa responsabilité.
Soutenir l’appareil de recherche européen
L’effort public de recherche doit retrouver de l’envergure. Il doit être ciblé sur les équipes et les laboratoires capables de travailler de concert avec les entreprises en charge de développer et de commercialiser les innovations. Les universités doivent gagner en efficacité et sélectivité afin de permettre aux innovations de rupture à fort impact. Une urgence stratégique
L’Europe ne manque ni de talents ni de technologies, mais d’un véritable sursaut collectif pour tirer parti de ses atouts. Valoriser les technologies européennes et retenir nos talents ne relève pas seulement de la compétitivité économique, mais aussi de la souveraineté. Alors que les développements géopolitiques des premières semaines de 2025 soulignent l’urgence pour l’Europe de prendre son autonomie en matière de défense, comment pourrait-elle y parvenir en négligeant le numérique ?
Nos entreprises ont une responsabilité particulière dans ce combat : elles sont à la fois le moteur de notre économie et les garantes de notre indépendance technologique. En redirigeant nos efforts vers des solutions européennes, nous ne ferons pas seulement le choix de la résilience, mais aussi celui de l’avenir. Il est temps d’agir avant que cette fuite des talents et des capitaux ne devienne irréversible.
Baptiste FOSSEPREZ Florian ERNOTTE CEO PEPITE Partner – avroy avocats