L'IA vous fait écrire n'importe quoi.

Posted on Nov 2, 2025

Ce matin, j’ai lu une newsletter dans laquelle l’auteur écrivait que:

« l’IA n’est plus une mode, mais un séisme silencieux ».

Il y a quelques semaines, j’avais repéré un contenu du même type. La réflexion d’un “penseur” de l’intelligence artificielle mise en pratique, qui disait l’utiliser pour explorer des sujets qu’il ne connaissait pas. Dans ce cadre, il expliquait comment l’IA l’avait amené, au fil de ses questionnements, “sur des chemins inattendus”.

Ces constats ne sont pas récents mais j’ai le sentiment qu’ils sont de plus en plus nombreux. Des contenus générés à l’aide de l’intelligence artificielle sont publiés sans être réellement compris par leurs auteurs. Jusqu’ici, je m’étais abstenu de tout commentaire, pensant que je coupais les “cheveux en quatre” mais ce nouvel épisode me donne envie de pousser ce “coup de gueule” et d’essayer de comprendre pourquoi cela me fait hérisser les cheveux (pour rester dans la métaphore capillaire).

Alors évidemment, si en 2025 on considère que l’IA n’est plus une mode mais un « séisme silencieux », c’est qu’on ne vit manifestement pas dans le même monde que cette personne. L’IA est partout, dans les médias, les posts sur les réseaux sociaux. Le pire, c’est que la personne ayant écrit cette phrase présentait dans le même texte les cinq conférences qu’elle donnerait sur l’intelligence artificielle lors d’un grand événement parisien fin novembre 2025. C’est donc une fameuse contradiction que de parler de révolution silencieuse tout en annonçant un événement public de 2 jours consacré quasi-exclusivement à l’IA.

Sur la notion de « chemins inattendus » mentionnée plus haut, j’ai également été assez agacé. L’auteur explique comment il utilise l’IA comme outil exploratoire. Sur le fond, cette idée me plaît et fait partie des manières dont je peux utiliser l’IA générative. Mais c’est donc précisément sans attente particulière que l’auteur va utiliser l’IA puisqu’il veut “explorer” (et donc découvrir) ce qu’il ne sait pas ou ce qu’il ne connait pas. Ecrire que le résultat obtenu par l’intelligence artificielle constitue un “chemin inattendu” implique qu’il attendait, au départ, d’obtenir un certain résultat (attendu). L’“inattendu” suppose qu’il existait un attendu : pour qu’un chemin soit inattendu, il faut qu’on ait eu une attente préalable d’un autre chemin. Si on explore sans attente, le terme “inattendu” perd son sens car on n’a rien prévu à l’avance. C’était d’ailleurs tout l’objet de la réflexion de l’auteur.

Ce qui me frappe, c’est que, bien que le style « machinique » et répétitif propre aux débuts de l’intelligence artificielle générative a pu être humanisé, le sens, lui, reste souvent creux, et maintenant contradictoire et dans une sorte d’indifférence généralisée. On fait générer un contenu par l’IA générative sur la base de quelques idées et des instructions bidouillées pour écrire “comme” une personne. La fluidité est améliorée, la longueur des phrases et des parapharages est plus aléatoire ce qui donne un rendu plus “personnel” mais le sens reste superficiel (dans le sens de l’apparence, qui n’est ni profond ni essentiel) car artificiel (dans le sens qui n’est pas naturel).

Cette artificialité du contenu s’apparente à de la médiocrité. Cette médiocrité a déjà pu être constatée dans les nouvelles formes d’expressions numériques.Comme l’écrivait Julia Cagé et Dominique Cardon:

L’espace informationnel s’est ouvert à une diversité de voix beaucoup plus importante et, surtout, le public n’est plus un agglomérat de spectateurs silencieux comme avec la presse, la radio ou la télévision. On peut se plaindre des dangers, de la médiocrité ou de la vacuité des nouvelles formes d’expression numérique, mais on ne reviendra pas en arrière.

Cette médiocrité des nouvelles formes d’expressions numériques s’étend donc, sans grande surprise, au contenu publiés par des utilisateurs ayant recours à l’IA générative. Il y a quelques mois, j’écrivais ici:

 il faut toutefois rester vigilant afin de ne pas tomber dans une léthargie cognitive et se contenter d’une réponse régurgitée par la machine. (…) cette fascination pour le contenu généré par l’IA révèle surtout notre acceptation collective de la médiocrité.

Nous sommes donc en plein dedans et ce que je craignais se manifeste avec une régularité affligeante.

Alors j’aimerai ne pas être aussi fataliste que Cagé et Cardon. J’espère qu’on va pouvoir, non pas faire marche arrière, mais à tout le moins corriger le tir, redresser la barre et ne pas s’enfoncer dans cette voie qui n’a rien de bénéfique.

A mon estime, je pense que la raison de tout cela est très certainement liée à une recherche d’efficacité et à cette volonté d’être visible, notamment à travers les newsletters, qui alimentent un phénomène de surproduction. Rien de nouveau sous le soleil me direz vous mais l’intelligence artificielle devient la recette magique pour produire du contenu vite et avec une apparence de “médiocre qualité”.

Aujourd’hui, j’ai le sentiment que ces détails passent bien souvent inaperçus car le lecteur lui-même est désormais immergé dans cette même logique d’efficacité. Il s’abonne à 36.000 newsletters, consomme celle-ci en les lisant en diagonale au mieux, les empilant dans sa boite de réceptio et demande à l’IA d’en faire un résumé au pire. C’est d’ailleurs cet exemple provocateur qu’on commence à lire dans les critiques de l’IA : un rapport de 300 pages rédigé par l’IA qui est trop volumineux pour son destinataire qui va lui même le passer dans l’IA pour le résumer, etc… On tourne en rond.

Je conclus par un passage de Anne Alombert - Penser avec Bernard Stiegler qui écrit:

Les effets potentiellement toxiques de certains dispositifs numériques prématurément diffusés impliquent de concevoir et d’expérimenter des pratiques thérapeutiques concrètes ainsi que des technologies alternatives à celle issues des industries disruptives de la Silicon valley.

En voici donc une malheureuse illustration. Alors je ne sais pas quelles pratiques thérapeutiques concrètes pourraient être mises en œuvre à ce stade mais j’espère modestement que ce “saut d’humeur” vous amènera à réfléchir à ce sujet.